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Vos enfants ne sont pas vos enfants...

  • lespetitsmotsdecar
  • 9 juin 2024
  • 8 min de lecture

Khalil Gibran


contrastes de lignes

Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les filles et les fils de l'appel de la vie à elle-même. Ils viennent à travers vous, mais non vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.


Je viens de terminer la lecture d'une biographie de Khalil Gibran, un homme fragile qui nous a laissé des œuvres exceptionnelles. Né au Liban en 1883, d’une famille catholique orthodoxe, il a émigré à Boston à l’âge de douze ans. De quinze à dix-huit ans, il est retourné étudier les lettres à Beyrouth, puis la peinture à Paris à vingt-cinq ans. Il écrivait en arabe et en anglais. C’est dans la langue de Shakespeare qu’il a écrit Le Prophète, ce petit livre qui a occupé toute sa vie.


C’était un homme triste et anxieux, éprouvé par la vie. En trois ans, il a perdu sa plus jeune sœur, son frère et sa mère. Son père, resté au Liban, est décédé quelques années plus tard. Il ne s’est jamais marié, mais il a eu plusieurs amantes. Il buvait et fumait beaucoup. Néanmoins, il a toujours tenté de vivre selon ses principes.


Je devais avoir onze ou douze ans, quand j’ai entendu parler de lui pour la première fois. Je prenais des cours de théâtre au sous-sol de l’église de la paroisse. Les jeunes qui donnaient les cours avaient écrit une pièce de théâtre dans laquelle il y avait le fameux passage :


« Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les filles et les fils de l’appel de la vie à elle-même. Ils viennent à travers vous, mais non de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour, votre soin, votre temps, mais non pas vos pensées, car ils ont leurs pensées propres. Vous pouvez accueillir leur corps mais pas leurs âmes, car leurs âmes habitent la maison de demain que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous, car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier. Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes sont projetés. L’archer voit le but sur le chemin de l’infini et il vous tend de sa puissance pour que ses flèches puissent voler vite et loin » 

 

Cet extrait figurait dans le texte que je devais mémoriser et réciter lorsque nous avons présenté la pièce au printemps. Je ne saisissais pas tout à fait le sens de ces paroles, mais j’ai retenu que ma vie m’appartenait. Je crois que mes parents ont essayé d’appliquer ce principe dans leur façon de nous élever, en nous laissant la responsabilité de nos choix de vie et des conséquences reliées à ceux-ci. Surtout à partir de l’adolescence.


Cela nous a obligés à nous prendre en main assez rapidement. Au début, j’ai souffert de ne pas me sentir protégée, mais j’en suis finalement ressortie plus autonome et confiante. Ils étaient conscients que nous avions des tempéraments différents et que nous avions besoin de prendre des chemins différents.


Quand mon père est décédé, une chose que nous avons nommée tous les trois dans notre hommage est qu’il nous a toujours encouragés dans nos choix de vie. Comme la corde de l’arc qui donne l’élan à la flèche dans le texte de Khalil Gibran.


Je ne pense pas avoir fait preuve d’autant de détachement avec ma fille. On veut souvent donner à nos enfants ce dont nous avons manqué. J’ai eu beaucoup de liberté, j’ai voulu lui donner la sécurité. Elle a eu beaucoup de sécurité, mais elle a cherché à avoir plus de liberté.


J’ai fini par comprendre et la laisser voler de ses propres ailes, l’écouter et être confiante qu’elle trouve les ressources nécessaires pour réaliser ses rêves. Je lui donne mon amour, mes soins, mon temps. Je lui partage mon expérience, ma force et mon espoir, puis je la laisse en disposer et choisir ses propres pensées.


Caro



Pour aller un peu plus loin...


Pour mon père


Mon père vient d’une famille de six enfants dont il est le petit dernier, il est né prématurément après huit mois de grossesse.  On l’appelait Johny ou ti-blanc, parce que ses cheveux pâlissaient pendant l’été.  Il était proche de son frère Marius qu’il a suivi au pensionnat vers l’âge de 10 ans parce qu’il s’ennuyait tout seul à la maison.  Ses parents avaient un commerce d’auvents et étaient assez occupés.

 

Au pensionnat, c’était le hockey, les amis, la messe tous les matins et je crois aussi un peu les études.  Mon père était sourd d’une oreille et entendait mal de l’autre et comme il était grand pour son âge, on le mettait en arrière de la classe. Ce n'est pas facile de réussir dans ces conditions.  Il a été impressionné par la vie des missionnaires, je crois qu’il avait un oncle missionnaire qui était venu les visiter.  Mais les filles ont eu le dessus sur la vocation et la religion a pris le bord quand un prêtre lui a reproché de courtiser une fille sans avoir le projet de la marier.  Il est allé au Mont St-Louis à Montréal et a fait son cours commercial.

 

Il a rencontré ma mère dans une soirée dansante au Flamingo à Sherbrooke.  Elle venait de retourner un cavalier car elle était fatiguée.  Mon père aimait les défis, il l’a convaincue de venir danser avec lui.  Il l’a aussi convaincu de le marier après deux ans de fréquentations.  Il a vécu à Sherbrooke, Granby, Montréal-Nord, Laval (sur Notre-Dame et sur De l’Élysée, puis sur la 66e), à Blainville, Bois-des-Filions, Repentigny, Ville Émard et finalement LaSalle !


Ils ont eu trois enfants, Caroline, Sophie et Nicolas.  Quatre petits-enfants, Véronique, Jeremy, Vincent et Maeva.  Il ne nous laisse pas d’héritage matériel, ce que nous possédons, nous l’avons bâti nous-même, mais il nous a quand-même légué quelques qualités qui nous ont permis de nous débrouiller dans la vie. 

 

Nos parents n’étaient pas exactement comme les parents de nos amis, ils ont essayé d’être moins traditionnels.  Ils avaient lu « Tout se joue avant six ans ».  Je crois que mon père était un humaniste, il attribuait une partie de ce que nous sommes à notre tempérament et une autre à notre milieu.  Je ne sais pas s’il est allé chez les Jésuites, mais j’ai retrouvé ce passage et cela a du sens pour moi :


Le nouveau discours pédagogique humaniste, que les Jésuites mettront en pratique dans leurs collèges à partir du milieu du XVIe siècle, a comme principes :

La connaissance des auteurs anciens;

Le respect de la personnalité de l'enfant;

Un dialogue continu entre le maître et l'élève;

L'esprit d'émulation entre les jeunes;

Un dosage équilibré entre l'effort intellectuel et l'exercice du corps;

L'ouverture sur le monde.

 

En ce sens, il m’a influencé.  À douze ans, il m’a fait lire le livre « Apprendre à apprendre », c’est une approche qui a toujours influencé ma pratique pédagogique.  Il m’a encouragée à apprendre le doigté sur le clavier du dactylo quand j’étais au secondaire, à utiliser un agenda pour m’aider à m’organiser.  Il passé plusieurs dimanches après-midi  à me faire pratiquer mes tables de multiplications en quatrième année et l’anglais en secondaire trois.

 

C’était un passionné et il était créatif.  C’était un bel homme, il aimait bien s’habiller et avait de l’entregent.  Il avait de beaux yeux bleus dont ses petites-filles ont hérité.  Il aimait jouer au golf, les romans policiers, le jazz et les vieux films.  Il était gentil, à la résidence, c’est ce que les gens qui s’occupaient de lui me disait toujours.  Il était à la fois généreux et égocentrique, persévérant et entêté, méticuleux et perfectionniste.  Il avait une belle écriture.  Il s’intéressait à tout et nous a laissé une certaine ouverture d’esprit.  Il a enregistré et vu une quantité incroyable de documentaires de toute sorte.  Il buvait beaucoup de café et était un gros fumeur, mais il mangeait santé et se tenait en forme.

 

C’est lui qui m’a appris les bases de la couture pendant que ma mère me montrait à tondre le gazon. Il nous a toujours encouragé dans nos choix de vie, ce qui nous a aidés à foncer dans la vie.  Je me souviens de phrases clés.  À dix ans, j’avais pris un autobus dans la mauvaise direction et il m’avait fait remarquer que si j’avais posé la question au chauffeur, le pire qui aurait pu arriver, c’est que le chauffeur me dise non ou soit bête.  J’ai appris à ne pas dramatiser quand les gens sont bêtes.  Lorsque j’ai commencé à chercher mon premier emploi, il m’a expliqué que je devais revenir voir les employeurs régulièrement pour montrer que j’étais réellement intéressée.  Je n’ai jamais été au chômage…

 

Il a utilisé son charme pour gagner sa vie dans la vente.  Il a vendu des publicités, des assurances, des chaussures, des maisons, des piscines, des foyers, des fruits de mer et j’en passe… Sa plus grande réussite a été de monter une compagnie de distributions de circulaires sur le territoire de Laval pendant plusieurs années.  Ce fût aussi un deuil difficile pour lui lorsqu’il a dû la fermer.

 

Il attendait beaucoup de la vie et des gens, il a souvent été déçu.  Dans la quarantaine, il s’est mis à se chercher.  Il a même fait de la méditation transcendantale et a participé à l’organisation pour les élections dans son comté.  Il avait de bonnes idées, mais n’écoutait pas toujours les gens qu’il engageait pour le conseiller.  À l’âge de la retraite, il avait atteint un certain équilibre et semblait plus serein.

 

Ces dernières années, il a vécu plusieurs deuils.  Le décès de ma mère, se résigner à vivre avec sa petite pension, perdre son autonomie au niveau de son budget, sa voiture, ses emplettes et ses repas, son hygiène et sa mobilité. Il n’était pas très exigeant et avait développé de la reconnaissance pour ce qu’on faisait pour lui.  Mais les visites répétées à l’hôpital le décourageait, il en revenait chaque fois un peu plus vulnérable.  Cet été, il s’est mis à vouloir mourir.  Il disait qu’il était « tanné ».   En effet, il avait une faible qualité de vie.  Il n’y a pas si longtemps, il était satisfait de manger un bon repas, regarder la télévision et fumer.    Cela lui demandait maintenant un effort.  Mais l’heure n’était pas venue… 


Un jour, j’en parlais à ma psychologue qui me faisait remarquer que peut-être qu’il y avait une leçon qu’il n’avait pas encore apprise avant de nous quitter.  C’était peut-être une leçon que les gens autour de lui devaient apprendre.  J’ai fait part de cette conversation  à mon père la veille de son dernier séjour à l’hôpital.  Quelques jours plus tard, quand je lui ai expliqué qu’il ne pouvait pas retourner à la résidence parce qu’il ne marchait plus et qu’on lui chercherait un endroit en CHSLD, il m’a répondu : «Je vous laisse conduire, ça fait longtemps que j’ai plus mes licences.»  Le lendemain soir, il est parti.  Il n’a pas souffert physiquement, il a accepté sa vulnérabilité et a pu nous quitter dans le calme.


J’ai fait le chemin de Compostelle en juillet 2013 et 2014, cet été, je me suis occupé de Jean Ruel… C’était comme le Chemin, je ne savais jamais en me levant le matin ce qui arriverait dans ma journée.  Cette expérience m’a aidée à lâcher prise sur les détails de ma vie et m’a rapproché des gens.  Ce fût une richesse au plan spirituel.  Rien n’arrive pour rien et je suis sûre que nous avons grandi tous les deux sur ce bout de chemin de nos vies. 


Merci papa pour ce que tu m’as appris et de m’avoir aimée.

Merci à tous les gens qui sont ici aujourd’hui pour nous permettre de vivre ce rituel relié au deuil.  Il nous aide à guérir.


Caroline Ruel

Mars 2016



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