Dans le confort tu régresses, dans l’effort tu progresses
- lespetitsmotsdecar
- 16 mars
- 11 min de lecture
Simon Lafage

Dans le confort tu régresses, dans l’effort tu progresses. Il est normal de rechercher un certain confort, mais quand on s'y accroche, on stagne.
J’ai entendu une version abrégée de cette citation lors d’une réunion dans les années 80 : Pas d’effort, pas de confort. Je peux vous affirmer que je n’ai pas ménagé mes efforts dans tous les domaines de ma vie. Mais le confort est éphémère et il nous glisse entre les doigts quand il est recherché par notre ego.
La recherche de la sécurité et du confort a ouvert la porte au travail compulsif, à des tentatives de contrôle sur les autres et sur mon environnement.
Cette semaine, mon mari a déclaré que la plus grande compulsion de notre époque est la dépendance au confort. Cette idée m’a quelque peu ébranlée, mais je l’ai trouvée intéressante. Il semble que ce ne soit pas nouveau car Marc-Aurèle a écrit : « Le confort est la pire addiction. »
Il est vrai que la plupart des gens éprouvent de la difficulté à supporter l’inconfort, autant physique qu’émotionnel. J’ai d’ailleurs longtemps cru que mes efforts me protégeraient de l’inconfort, mais j’ai compris que je devais parfois être disposée à tolérer un certain niveau d’inconfort. C’est le phénomène d’habituation. Il consiste à s’adapter à un stimulus en arrêtant d’y porter attention pour se concentrer sur ce qui est important.
Comme enseignante, comprendre que certains enfants sont hypersensibles (auditifs, visuels, tactiles) et d’autres hyposensibles m’a outillée pour intervenir de façon plus judicieuse. Certains sont incommodés par une étiquette qui frotte sur la peau, des mains collantes, le tictac de l’horloge, le bruit sourd du frigo, les cris des enfants, le désordre ou un environnement trop stimulant. Alors que d’autres sont sous-stimulés dans un environnement calme et épuré. Ils cherchent alors à se stimuler en jouant avec leur crayon ou les lacets de leurs chaussures.
Bref, rien n’est jamais parfait et on peut toujours trouver matière à justifier notre insatisfaction. Nous vivons dans un village au Mexique pendant deux mois cet hiver. Notre appartement est confortable. Il est situé dans un complexe très propre avec une belle piscine. Quand on sort pour aller au centre de la colonie où on retrouve les épiceries et de nombreux restaurants, les trottoirs et les rues sont parfois cassés, le ramassage des ordures est un réel enjeu et plusieurs maisons ne sont pas bien entretenues.
Nous ne pouvons pas boire ou laver nos aliments avec l’eau du robinet. Nous n’avons pas de four, de laveuse, ni de sécheuse. Nous avons dû trouver des trucs pour avoir un débit d’eau chaude régulier pour la douche. J’ai des allergies à je ne sais quoi. Nos ordinateurs ne fonctionnent pas comme d’habitude et je dois bricoler des solutions. En résumé, ce n’est pas comme chez nous…mais si nous avions vraiment besoin que ce soit comme chez nous, nous y serions restés et nous aurions gelé et pelleté !
D’une décennie à l’autre, il y a une hausse des exigences pour le confort et une perte de contact avec la nature. Nous avons oublié que dans le confort tu régresses. L’être humain a toujours recherché, d’un côté le confort et de l’autre le voyage, partagé entre le connu et l’inconnu. Comme toujours, on recherche l’équilibre. Je terminerai avec l’image de la Pirogue…
« Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la Pirogue, c’est-à-dire du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’Arbre, c’est-à-dire de l’enracinement, de l’identité, et les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l’un, tantôt à l’autre ; jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’Arbre qu’on fabrique la Pirogue. »
Caro
Pour aller un peu plus loin...
Une réflexion sur notre époque
Le paradoxe du confort moderne s’impose comme une question importante de notre époque. Alors que la technologie promet une existence toujours plus simple et agréable, elle pose un défi inattendu : notre capacité à affronter l’inconfort disparaît peu à peu. En cherchant à éliminer les frictions du quotidien, risquons-nous de perdre notre résilience ?
La philosophe Hannah Arendt, dans La Condition de l’homme moderne, nous avertit que la domination technologique crée une déconnexion avec le monde réel. Ce constat, amplifié par les réflexions de Zygmunt Bauman sur l’hypermodernité, nous pousse à redéfinir ce que signifie vivre pleinement dans un monde aseptisé. Mon article explore les implications profondes de cette quête de confort et les moyens de retrouver un équilibre essentiel.
Comprendre ce paradoxe du confort moderne, c’est questionner les choix d’une société en quête de bien-être absolu.
Ce n’est pas l’homme qui domine la technique, mais l’univers technique qui domine l’homme. Hannah Arendt
1. L’évolution historique du confort : d’un besoin vital à une quête permanente
Le confort, une réponse initiale à la survie
Au commencement, le confort était une nécessité. L’être humain cherchait à se protéger des rigueurs de la nature, à se nourrir et à survivre. Le feu, les abris, et les premiers outils sont nés d’un besoin de sécurité face à un environnement hostile. Comme le rappelle Thomas Hobbes dans Le Léviathan, « la vie de l’homme dans l’état de nature est solitaire, pauvre, brutale et brève ». Les innovations techniques, comme l’agriculture ou les systèmes d’irrigation, ont alors permis de stabiliser les conditions de vie.
Marshall Sahlins, dans Âge de pierre, âge d’abondance, nuance cependant cette vision. Il démontre que certaines sociétés primitives vivaient dans une relation équilibrée avec leurs ressources, trouvant un confort suffisant sans céder à une logique d’accumulation. Ces sociétés, bien qu’éloignées de nos standards modernes, offraient déjà un « confort mesuré » adapté à leurs besoins vitaux.
En éliminant les dangers naturels, nous avons construit un monde où le confort moderne est devenu une évidence, mais non sans paradoxe.
Les sociétés primitives n’étaient pas dans un état de pénurie permanente, mais dans une relation équilibrée avec leurs ressources. Marshall Sahlins
Une transition vers l’optimisation
Avec la révolution industrielle, la quête du confort a changé de nature. Là où il s’agissait de répondre à des besoins fondamentaux, elle est devenue une recherche constante d’optimisation. La technologie, des appareils domestiques à la domotique, a supprimé bien des efforts du quotidien. Toutefois, ce progrès n’est pas sans conséquence. Herbert Marcuse, dans L’Homme unidimensionnel, critique cette société où l’ultra-commodité formate nos désirs et réduit l’homme à ses besoins matériels. Jean Baudrillard, dans La société de consommation, va plus loin en affirmant que nous consommons non pas des objets, mais des signes et des modèles.
Cette quête de confort maximaliste, à travers des innovations comme le télétravail ou les applications de livraison instantanée, élimine les aspérités de la vie quotidienne. Mais, à force de nous épargner l’effort, elle nous éloigne également d’une expérience directe et authentique du réel.
Les gadgets techniques de la société moderne imposent une consommation inutile, tout en modelant les besoins et désirs humains. Herbert Marcuse
2. Les paradoxes du confort moderne : entre libération et fragilité
Une émancipation indéniable
Il serait injuste de nier les bienfaits du confort moderne. Grâce aux progrès techniques, nous avons gagné en sécurité, en santé et en éducation. Norbert Elias, dans La civilisation des mœurs, souligne comment ces avancées ont permis de canaliser la violence et de créer des conditions de vie plus harmonieuses. Yuval Noah Harari, dans Homo Deus, met également en lumière le fait qu’aujourd’hui, davantage de personnes meurent d’excès (obésité, alcool) que de pénurie (famine).
En éliminant les tâches ardues et répétitives, le confort moderne a libéré du temps pour la créativité et les loisirs. Il a permis à l’humanité de se concentrer sur des objectifs plus collectifs et intellectuels, favorisant ainsi l’innovation et le progrès culturel.
Pour la première fois dans l’histoire, plus de gens meurent d’excès que de pénurie. Yuval Noah Harari
Une dépendance grandissante
Mais cette émancipation a un revers. Plus notre confort augmente, plus notre tolérance à l’inconfort diminue. Zygmunt Bauman, dans La modernité liquide, observe que cette hypermodernité favorise l’instantanéité et l’intolérance à toute forme de lenteur ou de désagrément. Simone Weil, dans La pesanteur et la grâce, avertit quant à elle que le confort crée une déconnexion avec la dimension tragique de l’existence, pourtant essentielle pour nous transcender.
En cherchant à fuir l’inconfort, nous avons amplifié la fragilité humaine, un effet typique du confort moderne. Cette fragilité face aux imprévus se traduit par une dépendance accrue aux outils technologiques. Une simple panne de réseau peut provoquer un sentiment de désorientation. Loin de nous protéger, cette quête de commodité nous expose davantage à des vulnérabilités systémiques.
Le malheur est la forme par laquelle nous touchons la réalité. Se déconnecter de lui, c’est perdre le contact avec ce qui est réel. Simone Weil
3. Zone de confort et malentendus : sortir ou l’élargir ?
Les limites de l’injonction à « sortir de sa zone de confort »
L’idée de « sortir de sa zone de confort » est omniprésente dans les discours de développement personnel. Cette injonction, souvent bien intentionnée, vise à encourager les individus à affronter leurs peurs et à explorer de nouvelles opportunités. Cependant, elle peut s’avérer contre-productive si elle est mal comprise. Byung-Chul Han, dans La société de la fatigue, critique cette obsession du dépassement qui pousse l’individu à devenir son propre bourreau, perpétuellement insatisfait.
Frédéric Lordon, dans La condition anarchique, met également en garde contre cette glorification de la performance. Elle peut entraîner une surcharge émotionnelle et un épuisement mental, particulièrement chez ceux qui vivent déjà dans une précarité ou un stress latent. Sortir brutalement de sa zone de confort, sans préparation ni soutien, peut conduire à des échecs cuisants, renforçant un sentiment d’incapacité.
Nous vivons dans une société de performance où l’individu s’épuise à vouloir dépasser ses propres limites, devenant son propre bourreau. Byung-Chul Han
Repenser la zone de confort : un espace évolutif
Plutôt que de diaboliser la zone de confort, reconsidérons-la comme un espace dynamique et évolutif. Donald Winnicott, dans Jeu et réalité, propose une réflexion intéressante sur les « espaces transitionnels ». Ces espaces, entre confort et inconfort, permettent une exploration en douceur et un apprentissage progressif.
Cette approche est également soutenue par le sociologue Edgar Morin, qui, dans La Voie, préconise un équilibre entre sécurité et exploration. Naviguer entre confort et inconfort nécessite une préparation minutieuse, des étapes progressives et une réflexion sur ses limites. En élargissant sa zone de confort plutôt qu’en cherchant à la fuir, on développe une résilience durable et une capacité accrue à affronter l’imprévu.
C’est dans l’espace intermédiaire entre la réalité intérieure et extérieure que nous trouvons la possibilité de nous développer. Donald Winnicott
4. L’inconfort comme levier de transformation personnelle et collective
La dimension existentielle et spirituelle de l’inconfort
Dans de nombreuses traditions philosophiques et spirituelles, l’inconfort est perçu non pas comme une anomalie à éviter, mais comme une opportunité de transformation. Le stoïcisme, incarné par Marc Aurèle dans ses Pensées pour moi-même, enseigne que les épreuves sont des occasions de cultiver la sérénité et la résilience. Bouddha, dans ses enseignements sur l’impermanence, rappelle que « la douleur est inévitable, mais la souffrance est optionnelle ».
Pour Friedrich Nietzsche, l’inconfort est même essentiel à la grandeur humaine. Dans Ainsi parlait Zarathoustra, il affirme que « l’homme doit encore porter en lui le chaos pour donner naissance à une étoile dansante ». En d’autres termes, les difficultés ne sont pas des obstacles, mais des moteurs de dépassement et de créativité.
Ces perspectives convergent vers une idée clé : accepter l’inconfort, c’est renouer avec une authenticité et une profondeur d’existence que le confort aseptisé ne peut offrir.
Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. Friedrich Nietzsche
L’importance du dépassement
Le dépassement de soi, lorsqu’il est bien compris, procure une satisfaction unique. Albert Camus, dans Le Mythe de Sisyphe, illustre cette idée en invitant à imaginer Sisyphe heureux dans son effort absurde. Le plaisir ne réside pas uniquement dans le résultat, mais dans le processus, dans l’acte même de surmonter une difficulté.
Gaston Bachelard, dans La Poétique de l’espace, valorise également l’effort comme un moyen de reconquérir une relation authentique avec le réel. Une simple expérience, comme marcher sous la pluie ou gravir une montagne, peut reconnecter l’individu à des sensations brutes et profondes, offrant un contraste vivifiant avec la monotonie sécurisée du quotidien.
L’inconfort maîtrisé nous offre une solution au dilemme posé par ce confort moderne devenu omniprésent.
La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Albert Camus
5. Reprendre contact avec l’inconfort dans un monde aseptisé
Cultiver la patience et la simplicité
Face au paradoxe du confort moderne et à ce monde où tout est conçu pour satisfaire immédiatement nos désirs, cultiver la patience devient un acte de résistance. Épicure, dans sa Lettre à Ménécée, rappelle que « celui qui ne se contente pas de peu ne se contentera de rien ». Pierre Rabhi, dans Vers la sobriété heureuse, invite à retrouver une simplicité volontaire, où les plaisirs modestes remplacent l’hyperconsommation.
Tolérer des désagréments mineurs, comme attendre sans distraction ou marcher dans le froid, est un exercice qui renforce notre résilience intérieure. Ces expériences nous apprennent à accueillir l’instant présent, même lorsqu’il est inconfortable, et à relativiser les petites contrariétés.
Celui qui ne se contente pas de peu ne se contentera de rien. Epicure
Réinvestir l’expérience directe
Dans Walden ou la vie dans les bois, Henry David Thoreau décrit son choix de s’isoler dans la nature pour retrouver un rapport direct avec le monde. Cette immersion volontaire dans l’inconfort des éléments naturels lui permet de redécouvrir des vérités essentielles.
De même, David Le Breton, dans Éloge de la marche, explique comment la marche nous reconnecte à l’imprévisible et à l’authenticité de l’expérience sensorielle.
Des pratiques simples, comme la randonnée, le jardinage ou même des travaux manuels, peuvent devenir des moyens puissants de réinvestir un lien direct avec le réel. Elles permettent de redécouvrir une satisfaction enracinée dans l’effort et l’authenticité, loin des médiations technologiques, et de vivre pleinement, ici et maintenant.
Sortir de l’artifice et accepter l’imprévu est une manière de dépasser les limites du confort moderne.
J’allai dans les bois parce que je voulais vivre délibérément, affronter seulement les faits essentiels de la vie. Henry David Thoreau
6. Vers un équilibre harmonieux entre confort et inconfort
La solution au paradoxe du confort moderne ne réside pas dans un rejet absolu des innovations technologiques, mais dans la recherche d’un équilibre subtil entre les bienfaits du confort et les enseignements de l’inconfort. Aristote, dans son Éthique à Nicomaque, préconisait déjà la recherche du juste milieu (la mesotes) comme la clé d’une vie vertueuse et épanouie.
Un confort bien intégré peut offrir un socle de stabilité, tandis que l’inconfort, lorsqu’il est volontairement accepté, devient une opportunité de transformation personnelle. En cultivant cette alternance, nous pouvons réintégrer une dynamique de croissance sans céder à l’hyperdépendance ou à l’épuisement.
Montaigne, dans ses Essais, souligne que vivre pleinement consiste à embrasser toutes les facettes de l’existence, qu’elles soient agréables ou inconfortables. Le confort et l’inconfort ne doivent pas être perçus comme des opposés irréconciliables, mais comme des forces complémentaires qui enrichissent notre expérience humaine.
La vertu est un juste milieu entre deux vices opposés, l’un par excès et l’autre par défaut. Aristote
Le mot de la fin
L
e confort moderne est à la fois une bénédiction et un défi. Il nous a offert une qualité de vie inédite, mais il a également érodé notre capacité à tolérer l’inconfort et à affronter les imprévus. En nous protégeant de tout, nous risquons de nous priver d’une part essentielle de notre humanité : notre résilience et notre capacité à trouver du sens dans l’effort.
Simone Weil, dans L’enracinement, insiste sur l’importance de garder un contact avec le réel pour donner du sens à notre existence. Ce contact passe par une réintégration consciente de l’inconfort, non pas comme une souffrance gratuite, mais comme une expérience enrichissante. En naviguant entre confort et inconfort, nous redécouvrons notre liberté intérieure, notre créativité et notre connexion avec le monde naturel.
Hannah Arendt nous rappelle que « être libre, c’est ne pas échapper aux réalités de la vie, mais s’y confronter avec dignité ». C’est cette liberté, à la fois intérieure et extérieure, que nous devons cultiver dans un monde saturé de facilité. Sans tomber dans l’idéalisme, je dirais que redéfinir le confort moderne, c’est donc faire de l’inconfort une opportunité pour vivre plus pleinement, authentiquement et être heureux.
Ce questionnement sur le confort moderne ouvre la voie à une réflexion collective : comment réconcilier progrès et humanité dans un monde en perpétuel mouvement ?
L’homme a besoin de racines et de contact avec la réalité pour donner pour donner un sens à sa vie.
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